Quatre entreprises familiales achètent la récolte de sagne et paye les lieurs. 10% des paquets deviendront des "paillassons" et des balais, 90% se retrouveront sur les toits des cabanes de gardians ou des maisons hollandaises, anglaises, bretonnes et normandes. "Il faut environ quinze jours à deux pour couvrir 200 m2", explique Pascal Bouchité, chef de chantier de l'entreprise Perret & Fils.
"La méthode camarguaise, c'est de monter les manons, des petits fagots de 10 cm de diamètre, en escalier. On commence par le bas, et on monte jusqu'au faîte du toit, où l'on coule un peu de ciment, pour l'étanchéité. Pour les chaumières bretonnes ou normandes, le roseau sera posé à plat, ras comme un tapis." Chaque manon est attaché cinq fois à un autre et l'isolation est parfaite. "
Le roseau est un matériau fabuleux, léger et extrêmement robuste, inaltérable à l'eau. Il protège de la chaleur comme du froid et a une durée de vie d'environ 30 ans. Ce sont les oiseaux et le Mistral qui l'abîment". "Vivre sous un toit de roseau est très agréable", confirme la locataire d'une maison de gardians. Il faut évidemment proscrire barbecue et cigarettes dans les environs, et il est préférable qu'il n'y ait pas trop d'arbres aux alentours, pour que la toiture respire. Ce qui est fabuleux, c'est qu'il y a de la vie dans le toit : les oiseaux y font leurs nids. Je les entends piailler, s'ébrouer, gazouiller, un vrai bonheur."
"De l'eau des marais aux toits des maisons, le roseau est une matière vivante et fragile, c'est sans doute ce qui lui donne tant de charme." confirme André Calba.
Même si son équilibre financier est désormais ailleurs, il n'a pas su renoncer totalement à la sagne. Il a racheté à un vieil artisan une "machine à paillassons" et vend quelques mètres carrés de nattes de roseau à des particuliers, pour protéger terrasses et piscines du soleil.
"Difficile de se résoudre à quitter la sagne et la roselière quand on y a passé des années de sa vie", constate-t-il, un brin nostalgique. "La sagne, c'était de l'or." Un filon qui s'épuise et qui voit s'éteindre l'un des plus vieux métiers de Camargue, les sagneurs des marais.