Ce sommet, Cézanne va l’atteindre dans la dernière partie de son œuvre. Fasciné par cette muse aux rondeurs exigeantes, il résoud une à une les contradictions inhérentes à son désir de représenter objectivement la réalité de la nature tout en restant fidèle aux sensations fluctuantes. Le face à face entre Sainte Victoire et sa palette se métamorphose en épopée sublime.
Pour lui, donc, un tableau n’est pas une image, c’est un objet avec son poids de matière, sa fermeté, sa structure particulièrement sensible dans « la Montagne Sainte Victoire vue des Lauves », une toile terminée quelques mois avant sa mort. Comme dans les précédentes, plusieurs espaces y sont contenus. Au premier plan, la plaine, entre les Lauves et la Sainte Victoire, s’étale comme un canapé douillet. Instinctivement, on devine qu’un un spectacle éblouissant nous attend.
Les noirs, les bruns, les verts et les violets dessinent leurs arabesques joyeuses sur un plan vertical destiné à lever le rideau sur une autre scène. Soudain, comme par magie, Cézanne fait surgir dans un décrochement de bleu fantastique, la montagne Sainte Victoire. Entre temps, un ange est passé. En effet, une tache de lumière chaude enfouie au centre du tableau indique clairement la présence indissoluble du soleil. Astre bienveillant, irradiant de bonté les éléments constitutifs du paysage.
Pour Gilles Plazy, tout est dit dans cette œuvre magistrale. Cézanne a tenu sa promesse de dire un jour « toute la vérité ». Les fiançailles avec la nature sont consommées.
Cézanne voulait mourir en peignant. Il s’éteint dans la nuit du 22 au 23 octobre 1906 des suites d’une pleurésie contractée sous une pluie battante alors qu’il peignait la montagne Sainte-Victoire. Il nous lègue en héritage une leçon d’humilité à laquelle on peut souscrire. Chacun d’entre nous, à l’instar du maître d‘Aix en Provence, reprend à zéro, dans sa vie de peintre et dans sa vie d’homme, l’histoire de l’humanité toute entière.